Annina, qu’est-ce qui te motive à endosser ce nouveau rôle ?
Depuis plusieurs années, j’officie régulièrement comme vétérinaire dans les Vetgates des concours d’endurance nationaux. J’apprécie énormément cette proximité avec toute la communauté de l’endurance en Suisse – les chevaux, les cavaliers et leur façon de vivre ce sport. On apprend à connaître les chevaux, mais aussi les cavaliers, leur relation avec l’animal, leur philosophie. Quand on connaît bien les gens, on peut mieux les sensibiliser – notamment au bien-être du cheval et à l’image de notre discipline. En endurance, la clé du succès passe forcément par le Vetgate, et ce jusqu’à la ligne d’arrivée. Le fait que nous, vétérinaires, ayons cette influence et cette responsabilité est une grande source de motivation pour moi.
Restes-tu membre du cadre ?
Avec mon cheval Bango Coutillas, j’ai pu accomplir, en tant que membre du cadre, tout ce dont je rêvais — et même davantage. Lors des Championnats du monde l’an dernier à Monpazier, en France, j’ai pu mesurer à quel point un cheval est capable de réaliser des performances incroyables lorsqu’il connaît son travail et qu’il dit « oui » à ce qu’on lui demande. Mon Bango a parcouru les 160 kilomètres de ces championnats du monde, de nuit, sous la pluie et les orages, sur des sentiers étroits et boueux, les oreilles pointées vers l’avant jusqu’à la ligne d’arrivée. Avec lui, j’ai signé le meilleur résultat de l’équipe suisse, contribuant ainsi à sa magnifique 5ᵉ place au classement par équipe. Pour moi, il n’y a pas de plus belle façon de conclure. Cela, à lui seul, serait déjà une excellente raison de mettre un terme à ma participation au cadre — même si cette décision n’est pas facile à prendre.
Mon corps, lui aussi, commence à me rappeler ses limites. J’ai maintenant plus de 60 ans et plusieurs opérations derrière moi — avec quelques vis et plaques dans les os pour en témoigner. Le fait d’avoir encore pu parcourir 160 kilomètres avec mon petit cheval plein d’énergie (mon Power-Rössli) est en grande partie dû aux entraînements du cadre pour les cavaliers, sans cheval, à Macolin et au Kerenzerberg. C’était une expérience formidable et très motivante de pouvoir m’entraîner au même endroit que les jeunes athlètes de haut niveau. Sans cette motivation, je n’aurais sans doute jamais réussi à retrouver une telle condition physique, surtout après mon opération du dos. Mais ces 160 kilomètres du Championnat du Monde d'endurance 2024, avec des conditions météorologiques exigeantes et dans un départ réunissant 118 chevaux, ont été particulièrement éprouvants pour mon corps. J’avais choisi de me positionner à l’arrière de ce peloton de haut niveau afin de bien répartir les efforts de Bango, mais la course s’est révélée trop difficile physiquement. C’est pourquoi je mets aujourd’hui un terme à ma participation au cadre.
Quels seront tes axes prioritaires en tant que nouvelle vétérinaire de discipline en endurance ?
En tant que vétérinaire de discipline, je souhaite concentrer mon travail sur le sport national. Mon objectif est de parvenir à une harmonisation des standards lors des examens vétérinaires dans les Vetgates.J’aimerais que les vétérinaires adoptent une approche qui ne soit pas centrée sur la recherche d’erreurs, mais sur une évaluation globale du bien-être du cheval. La question essentielle doit toujours être : le cheval est-il apte à continuer (« fit to continue »), ou montre-t-il des signes qu’il risque d’être dépassé sur la prochaine boucle ? La difficulté, c’est que tous les critères d’évaluation ne sont pas entièrement objectifs et que chaque examen ne reflète qu’un instantané de la situation. Trouver le juste équilibre et garantir une évaluation équitable pour tous sera donc un grand défi à relever.
Qu’est-ce qui distingue les cavalières et cavaliers d’endurance suisses, ainsi que leurs chevaux,qui se montrent régulièrement performants au niveau international ?
La plupart des cavalières et cavaliers d’endurance suisses vivent et s’entraînent en Suisse, et seuls quelques-uns sont établis à l’étranger (notamment en France). Les conditions d’entraînement en Suisse ne sont pas toujours idéales comparées à celles d’autres pays, et il n’existe aucun professionnel de l’endurance dans le pays.Même parmi les membres du cadre vivant en Suisse, la plupart ne possèdent qu’un seul cheval capable d’évoluer au plus haut niveau. Cela les rend naturellement très attentifs à sa santé et à son intégrité physique lors des compétitions. C’est, à mes yeux, une grande force : le bien-être du cheval n’est pas un simple slogan, mais une valeur vécue au quotidien.
Beaucoup de cavaliers d’endurance suisses sont d’ailleurs autonomes dans la gestion de leurs chevaux, qu’ils considèrent presque comme des membres de la famille. À cela s’ajoute le fait qu’il n’y a aucune récompense financière à remporter lors des compétitions d’endurance en Europe. Nous pratiquons cette discipline uniquement par passion.
Les connaissances en médecine vétérinaire jouent également un rôle essentiel dans cette discipline : elles permettent non seulement de mieux suivre et adapter l’entraînement, mais aussi de comprendre et interpréter les fiches d’évaluation vétérinaire pendant les compétitions. C’est un savoir précieux pour progresser durablement et en respectant les chevaux.
Que représente pour toi le sport équestre en général, et l’endurance en particulier ?
Travailler avec mes chevaux, c’est pour moi comme créer une œuvre d’art. Une œuvre dont le but est de façonner un cheval heureux, coopératif, bien musclé et athlétique. Tout commence par les conditions de vie : mes chevaux vivent dans un paddock collectif bien conçu, où ils peuvent évoluer librement. Ma relation et ma communication avec eux reposent sur les principes du Natural Horsemanship, et c’est seulement ensuite que vient l’entraînement physique, aussi varié que possible. Le sport, avec un cheval ainsi préparé, devient alors une sorte de test, un moyen de vérifier si le travail sur cette “œuvre d’art vivante” avance dans la bonne direction.
Et lorsque le cheval réunit la bonne génétique et une préparation soignée, alors le sport de haut niveau est parfaitement justifié. Le succès, dans ce cas, n’est plus qu’une absence de malchance.
L’endurance, pour moi, c’est le bonheur d’être des heures en selle, souvent dans un nouvel environnement, sur les plus beaux chemins de la région, tout en ressentant la puissance et l’athlétisme de son cheval. C’est aussi le plaisir de partager ces moments avec d’autres passionnés, et cette convivialité, le cheval la perçoit aussi. L’objectif, en endurance, devrait toujours être de terminer la course avec de bonnes valeurs lors du contrôle final. Quand on y parvient, on pratique alors un sport qui correspond vraiment à la nature du cheval.
Que représente pour toi la relation avec le cheval ?
Une bonne relation repose sur la confiance et le respect mutuels. Et cette relation, avec chacun de mes chevaux, passe avant tout le reste — même avant les succès sportifs. Chaque fois que je travaille avec un cheval, que je fais évoluer cette “œuvre d’art vivante”, j’accumule des points sur un compte de confiance. En revanche, chaque départ en compétition d’endurance en consomme un certain nombre. Ce compte ne doit jamais tomber dans le rouge, sinon cela devient dangereux. Car lorsqu’une relation ne repose plus sur la confiance, et que ce sont les instincts du cheval qui reprennent le dessus, les malentendus et les situations délicates ne tardent pas à apparaître — avec un risque accru d’accidents ou de blessures.